« La culture, c’est ce qui peut se définir comme l’élément appris du comportement humain » nous dit Philippe Pierre, sociologue, expert interculturel et enseignant à Paris-Dauphine et Sciences Po. L’humain étant « apprenant », la pensée interculturelle n’est donc pas statique. L’interculturel n’est pas une pensée du permanent mais d’un possible toujours en mouvement. Est-il possible d’imaginer l’avenir d’une telle pensée en devenir ? Un collectif d’experts interculturels s’est essayé à l’exercice. Ensemble, ils évoquent les contours de ce que pourraient être les « formations interculturelles » de demain.
L’interculturel : un besoin en essor
Les formations interculturelles se sont largement maintenues durant la pandémie de COVID-19, certaines entreprises mettant même « les bouchées doubles ». Ce sujet reste essentiel et nécessite d’être traité. Les publics au sein des entreprises évoluent cependant. Des formations autrefois réservées aux seuls expatriés se démocratisent de plus en plus, l’international et l’interculturel devenant le sujet de tous.
A long terme, les cultures occidentales se rapprocheront inéluctablement. Certains français montrent déjà un goût prononcé pour le style vestimentaire américain, apprécient également de s’entourer d’une décoration inspirée des symboles forts de l’Amérique, et c’est ainsi que peuvent s’associer harmonieusement des cultures diversifiées. Pourtant, elles garderont leurs racines. La « partie immergée » de l’iceberg sera mieux cachée, mais toujours présente. L’Occident du XXIème siècle n’est plus dans une logique d’assimilation mais plutôt de reconnaissance, voire de promotion de l’altérité. Ce qui revient à préserver celle-ci d’une tendance à l’homogénéisation. Et par-là de continuer à apprendre à la reconnaître.
L’émergence de nouvelles cultures transverses
L’interculturel est de moins en moins lié à une simple topographie. Déjà, près de la moitié des formations interculturelles sont dites « transverses ». Elles ne concernent aucun pays spécifiquement, mais de plus en plus des organisations. Les entreprises prennent en effet toujours plus conscience du rôle déterminant de leur culture propre dans la poursuite de leurs missions. De nouveaux sujets émergent, en fonction de l’actualité entrepreneuriale : « comment travailler la culture organisationnelle pour devenir plus innovant et créatif ? », « comment développer une culture de l’agilité ? », « quelle culture pour faire face aux changements ? », etc.
Dans un monde en mutation, la culture du changement est une forme d’interculturalité. Chaque entreprise a un défi culturel qui lui est propre. Et la formation joue un rôle majeur dans l’adoption de cette nouvelle culture ou dans les changements culturels à mettre en œuvre. La différence de perspective porte ici sur la capacité de l’organisation à définir elle-même sa culture et ses valeurs, et à les promouvoir activement en interne. On n’est plus dans la simple reconnaissance d’une altérité existante, mais bien dans la création d’un nouveau système de valeurs réputé mieux apte à permettre à l’organisation d’atteindre ses objectifs.
Les sujets interculturels de demain seront donc plus « transverses » que « pays ». On est moins sur des différences de cultures locales mais plus sur des sujets d’agilité, de changement et de gestion d’équipes, avec la compréhension et la reconnaissance des valeurs associées. Les nouvelles cultures d’entreprises prennent parfois des aspects inattendus. Goldman Sachs, une banque d’affaires américaine, a ainsi créé sa propre police d’écriture. La culture propre d’une entreprise doit être originale, différenciante et servir la mission de l’entreprise.
Autre exemple : le souhait nouveau de généraliser des modalités de travail flexibles après la pandémie bouleversent naturellement les stratégies de déploiement de ces cultures. Les chefs d’entreprise doivent réimaginer leur culture dans un monde où les rituels et les cérémonies qui se déroulent au bureau sont inaccessibles. Cela passe d’abord par comprendre que les anciennes méthodes centrées sur le bureau ne fonctionneront plus. Ensuite, il faut s’efforcer d’établir davantage de points de contact avec les employés éloignés, de réimaginer les processus d’intégration et de favoriser des modes de communication inclusifs. Les entreprises qui investissent du temps et des ressources dans ces nouveaux processus s’adapteront mieux à un nouvel environnement hybride. Alibaba, une société de e-commerce chinoise, a ainsi transféré en ligne certaines de ses activités de « construction culturelle ». En remplacement d’Aliday, une fête d’entreprise, Alibaba North America a organisé un événement de fabrication de broderie à distance. Les employés se sont réunis pour créer « une broderie pour chaque bureau afin de commémorer ce moment spécial », renforçant ainsi leurs valeurs de communauté et d’activité collective.
La diversité et l’inclusion, nouvelles richesses de l’entreprise
Cela peut sembler paradoxal. Comment promouvoir une culture d’entreprise nouvelle, spécifique, originale et, en même temps, une diversité respectueuse de l’originalité de chacun ? De nombreuses entreprises organisent déjà des formations sur la culture de leur organisation. On y parle d’interculturel, mais pas seulement. De plus en plus souvent est abordé le thème de la diversité. L’organisation ne travaille plus seulement avec des pays aux cultures spécifiques. Elle doit aussi être attentive à tout autre chose : le fait religieux, le handicap, le LGBTQ+, l’intergénérationnel, etc., avec à chaque fois la nécessité de travailler sur les biais inconscients et de valoriser l’inclusion dans le recrutement, les feedbacks au quotidien, les revues annuelles et les promotions.
On associe beaucoup la culture d’entreprise à la question de la diversité et de l’inclusion. Cela s’entend car ce dernier est un discours sociologique qui gagne du terrain et est de plus en plus audible. C’est un discours interculturel, au sens américain du multiculturalisme. De la même façon que les Américains envisagent l’interculturel de façon naturelle étant donné la diversité de leur population, on pourrait, en France, affirmer une particularité plus inclusive qui reste à construire. Il n’est sans doute ni pertinent de défendre « à tout prix » un imaginaire culturel française, ni souhaitable de « copier » une approche américaine.
Le discours autour de la culture et des racines n’est pas forcément démodé. Il demande surtout à s’élargir à la diversité, au handicap, aux biais implicites, etc. Le but restant d’aider le manager avec des équipes aussi diverses que les équipes peuvent l’être aujourd’hui. De nouveaux collectifs se forment : comment faire pour que mon équipe « fonctionne » avec toutes ces identités différentes ?
Etendre la langue interculturelle
La communication interculturelle revient à travailler la validité d’un message. Celui-ci doit être compréhensible par tous, quelle que soit la nationalité. L’extension « globale » du message consiste en l’apprentissage d’un langage que les formations interculturelles s’appliquent à enseigner. Cette langue interculturelle est la plus propice à favoriser à la fois une culture « corporate » commune et, en même temps, l’épanouissement des identités diverses composant l’organisation. Il y a 15 ans, les interculturalistes proposaient déjà des formations de « Global Diversity ». Le phénomène n’est donc pas nouveau. Mais il est appelé à s’étendre, avec notamment un rôle moteur des cultures d’entreprises qui prennent le relais sur des cultures pays réputées ethnocentrées. Le foisonnement des entreprises « à mission » renforce d’ailleurs leur légitimité sur la question.
Neurosciences et prise de décision efficace
L’intelligence artificielle vient aujourd’hui au service d’une communication sans frontières. Les traducteurs automatiques se calent sur notre voix, notre ton, nos inflexions, etc. pour délivrer invariablement notre message en japonais, en allemand ou en arabe. La technologie n’adresse pourtant pas « la partie immergée de l’iceberg ». Celui-ci reste le champ propre de l’investigation interculturelle, même si le « Deep Learning » (ou réseaux neuronaux) permettra peut-être un jour à des neurones électroniques d’accéder à la créativité, la sensibilité ou l’imprévisibilité d’un cerveau humain. On peut lier l’interculturel à la neuroscience et aux biais inconscients, le cerveau rejetant tout ce qui lui est étranger. Le travail de sélection neuronale est un phénomène naturel. Si on comprend comment fonctionne son cerveau, on sera moins manipulables et on prendra de meilleures décisions. Le terme de « biais inconscient » pourrait alors être remplacé par celui de « prise de décision plus efficace ».
Les plateformes et les outils technologiques liés à l’intelligence artificielle viennent de gagner cinq années de croissance. Les experts interculturels vont continuer à être tiraillés entre le spécifique et l’universel, avec des différences à préserver selon le contexte ou les métiers. Un juste milieu est nécessaire : l’universel pour toucher « tout le monde », le respect des spécificités pour mieux comprendre « chacun ». Par simplicité, certaines entreprises peuvent risquer de tout homogénéiser en privilégiant l’universel. Le débat de Philippe d’Iribarne entre l’universalité et l’identité est donc loin d’être clos, l’entreprise devenant « le lieu de tous les problèmes, toutes les interrogations, qui marquent la rencontre entre le projet moderne et la diversité du monde. Elle est un lieu de compromis entre ce projet et cette diversité. »
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